L'Airbus A330 MRTT et le 60ème anniversaire des Forces Aériennes Stratégiques Françaises

Le 8 octobre 2024, l’armée de l’Air et de l’Espace commémore le 60ème anniversaire des Forces Aériennes Stratégiques (FAS) qui constituent l’une des deux composantes de la dissuasion nucléaire de la France. La flotte d’A330 MRTT “Phénix” est entièrement intégrée au commandement des FAS.

A cette occasion, nous avons pu interviewer le Général de corps aérien Stéphane VIREM, commandant les FAS pour qui le A330 MRTT “Phénix” “a bouleversé les capacités opérationnelles des Forces aériennes stratégiques, mais aussi celle de toute l’armée de l’Air et de l’Espace”.

Les Forces aériennes stratégiques (FAS) sont l'une des deux composantes de dissuasion nucléaire de la France. Nous fêtons leur 60ème anniversaire aujourd'hui. Pourriez-vous nous faire un bref rappel historique de ce qui a présidé à la création des FAS, et de ce qu'elles représentent aujourd'hui dans la souveraineté de la défense française.

La dissuasion est l’expression d’un choix politique fort, porté au plus haut niveau de l’Etat, par le président de la République, celui de conserver notre autonomie stratégique et notre liberté d’action

Résultant du traumatisme de la seconde guerre mondiale et de la crise du canal de Suez, le Général de Gaulle décide en 1962 la création des Forces Nucléaires Stratégiques ; et le 20 février, le Commandement Aérien Stratégique (CAS) est constitué et installé à Versailles, sous le commandement du général commandant l’aviation de bombardement.

Il s’ensuit une série de décrets publié en janvier 1964, attribuant au président de la République le pouvoir d’engager les forces nucléaires en sa qualité de chef de l’Etat, de président du conseil de défense et de chef des armées, et instituant sur la base aérienne de Taverny près de Paris le Commandement des Forces Aériennes Stratégiques (FAS), recevant la responsabilité de la mise en œuvre des bombardiers nucléaires, puis en 1971 des missiles Sol-Sol Balistiques Stratégiques.

Le 1er mai 1964, le général Philippe Maurin devient le premier commandant des FAS. Relevant du Président de la République, il reçoit de lui les ordres de tenue de posture, l’affectation des objectifs et, en cas de nécessité, l’ordre d’engagement des forces.

Enfin, le 8 octobre 1964 est une date symbolique pour notre armée de l’Air et de l’Espace comme pour notre pays. Ce jour-là, sur la base aérienne de Mont-de-Marsan, un bombardier Mirage IV armé d’une bombe nucléaire AN-11 et accompagné d’un avion ravitailleur C-135F, assure la première alerte nucléaire de notre histoire.

Ce jour, dont nous célébrons cette année le soixantième anniversaire, est à la fois un aboutissement et un commencement pour nos Forces nucléaires stratégiques. C’est en effet l’aboutissement d’un effort national sans précédent, scientifique, technologique, industriel, financier et opérationnel, porté par une ambition politique forte. Ce 8 octobre 1964 est également un commencement puisque depuis ce jour et de manière ininterrompue, la France dispose en propre, et de manière totalement souveraine, de la capacité à défendre ses intérêts vitaux.

A cette période, il y a alors trois types d’alertes : l’AB, “alerte à bord”, l’équipage étant dans l’avion, attendant la mise en route et le décollage immédiat ; l’A5, “alerte à cinq minutes”, signifiant le décollage cinq minutes au plus tard après le signal d’alerte ; l’A15, “alerte à quinze minutes”, signifiant le décollage quinze minutes au plus tard après le signal d’alerte.

Aujourd'hui encore, la dissuasion nucléaire est la clé de voûte de la stratégie française de Défense. Elle consiste à faire craindre « des dommages absolument inacceptables » à tout État qui envisagerait de s’en prendre aux intérêts vitaux du pays. Garantie de notre liberté d’appréciation, de décision et d’action, l’arme nucléaire ne pourrait être utilisée que dans des circonstances extrêmes de légitime défense.

Les Forces aériennes stratégiques (FAS) sont le cœur de la composante nucléaire aéroportée. Dotées de Rafale, du missile ASMP/A rénové et de l’A330 MRTT, son personnel et ses moyens participent sans interruption à la mission de dissuasion et à la garantie de sa crédibilité technique et opérationnelle depuis le 8 octobre 1964. Elles contribuent en toutes circonstances à la crédibilité opérationnelle de la dissuasion grâce à la portée de ses moyens aériens, la capacité de pénétration des défenses adverses, et la précision de ses armes.

Grâce au triptyque avion Rafale, missile ASMP-A rénové, avion ravitailleur, les FAS offrent des modes d’action réactifs et réversibles au président de la République. Elles sont un atout majeur du dialogue dissuasif et permettent une montée en puissance ostensible, démontrant ainsi la détermination du président de la République, chef des armées, en cas de menace sur nos intérêts vitaux.

Pourriez-vous nous rappeler pourquoi l'Airbus MRTT Phénix fait partie intégrante des Forces aériennes stratégiques (FAS). Qu'est ce que son arrivée dans les FAS a changé, notamment en termes de capacités opérationnelles ?

Le MRTT fait partie intégrante du triptyque de la dissuasion nucléaire aéroportée - avion Rafale, – missile ASMP-A rénové, avion ravitailleur - fournissant notamment l’allonge nécessaire au raid aérien.

L’arrivée de l’Airbus A330 « Phénix » a bouleversé les capacités opérationnelles des Forces aériennes stratégiques, mais aussi celle de toute l’armée de l’Air et de l’Espace. 

Depuis mon retour aux FAS en août 2023, elles ont largement mobilisé leurs MRTT pour des opérations dites conventionnelles : le désengagement du Niger et encore plus avec la Nouvelle Calédonie cette année. Nous avons déployé un pont aérien sur 14 000 km, avec un total de 32 mouvements d'avions de transport stratégiques sur une période courte. Nous avons transporté 4.100 passagers, 435 tonnes de matériel, une capacité absolument unique en France.

Le MRTT offre aux armées des capacités de projection démultipliées sur de très longues distances : ravitaillement en vol, transport stratégique et aéro-médical. La mission de projection de puissance PEGASE, réalisée en juillet-août 2024 dans sa troisième édition, rappelle aussi que la France est une nation souveraine capable de protéger ses territoires et ses intérêts sur l’ensemble du globe. Cette flotte sera complète lorsque les trois A330-200 auront été convertis au standard MRTT, portant leur nombre à 15 appareils stratégiques, parc nécessaire pour assurer l’ensemble des missions confiées à l’armée de l’Air et de l’Espace et notamment celles des FAS, après le retrait des trois aéronefs KC-135.

Si on se tourne un instant vers l'avenir en ce jour anniversaire : en quoi le MRTT standard 2 qui doit entrer en service à partir de 2028 renforcera encore les capacités opérationnelles des FAS ? Et si l'on regarde encore plus loin, à l'horizon 2040 et au-delà, comment voyez-vous l'arrivée du système de combat aérien du futur (SCAF) pour prendre le relais des missions de dissuasion aérienne ?

Le Phénix a révolutionné le transport et le ravitaillement stratégiques. Avec le MRTT standard 2, nous travaillons sur son avenir dans deux domaines plus spécifiques : un volet de guerre électronique qui a pour vocation d'améliorer la survivabilité du MRTT - donc du raid nucléaire - et un volet sur la connectivité. Ces évolutions nous permettront d’accroître notre capacité à conduire des opérations aériennes complexes. Le but est de conserver tout notre crédit, dans un environnement qui sera de plus en plus contesté.

Nous préparons aussi le système de combat aérien du futur (SCAF) qui sera ultraconnecté. Le Phénix doit être apte à le prendre en compte. L’arrivée du SCAF à l’horizon 2040 est très prometteuse. Il repose sur une stratégie de combat collaboratif lui permettant d’opérer dans les environnements les plus contestés. Il répond fortement aux contrats des FAS. De plus, il supportera le nouveau missile l’ASN4G.

L’ASN4G sera un missile très manœuvrant et hyper véloce, c’est-à-dire hypersonique - une vitesse dépassant Mach 5. Il sera très capable de porter le feu nucléaire à une distance sans commune mesure avec ce qui se fait aujourd’hui et de pénétrer les défenses adverses les plus denses, les plus développées qui seront en service de 2035 à 2065.