L’exploration spatiale est connue pour repousser les frontières de la connaissance scientifique, elle a également bouleversé notre vision de la place de l'Homme dans l’Univers. Nicolas André, ce passionné des planètes depuis l’âge de 12 ans, nous explique ce que la mission JUICE représente pour les scientifiques. 

Le lancement réussi de la mission JUICE le 14 avril 2023 marque une date importante dans la vie de Nicolas André, planétologue à l'Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie de Toulouse (IRAP). 

En effet dès 2005, Nicolas André a fait partie de l'équipe scientifique qui a proposé et bâti les premiers éléments pour la création d’une mission vers Jupiter et ses lunes pour le programme d’exploration Cosmic Vision 2015-2025 de l’Agence spatiale européenne (ESA). En 2012, l’ESA a décidé d’implémenter cette mission JUICE (JUpiter ICy moons Explorer) dont l'objectif est d’étudier les propriétés physiques des lunes glacées de Jupiter - Ganymède, Europe et Callisto - et confirmer la possibilité de mondes habitables autour de la géante gazeuse. 

Des années de recherche et les précédentes missions spatiales, comme Galileo de la NASA, ont confirmé que certaines de ces lunes contiennent de vastes océans d’eau liquide sous la croûte glacée avec d’éventuelles remontées d’eau sur la surface dans le cas d'Europe. La mission JUICE permettra d’approfondir et confirmer ces hypothèses.

Nicolas André, planetary scientist at IRAP

Nicolas André, planetary scientist at IRAP © Courtesy of Nicolas André 

 

Une collaboration main dans la main avec les scientifiques

Airbus, sélectionné par l’ESA en tant que maître d'œuvre du projet JUICE en 2015, a travaillé en lien étroit avec les scientifiques impliqués dans le projet. Benjamin Massart, Payload Technical Officer chez Airbus Defence and Space, a suivi le développement d’une partie des instruments embarqués sur JUICE et accompagné les équipes d’ingénieurs. “La coordination avec les équipes de scientifiques et l’ESA a été primordiale pour créer un environnement propice à garantir la performance des instruments. Définir correctement l’intégration de chacun des 10 instruments, gérer leurs nombreuses interfaces avec le satellite (mécaniques, thermiques, électriques, logicielles et opérationnelles) et vérifier de bout en bout leur bon fonctionnement est critique pour une mission d’une telle envergure.”

JUICE

 

Un champ de nouvelles découvertes pour la science

Après le soleil, Jupiter est le plus grand émetteur d’ondes radio du système solaire, même des radioamateurs sur Terre peuvent les écouter. “Bien comprendre le mécanisme d’émissions radio va nous permettre de voir si on ne pourrait pas repérer le même type d'émission sur des planètes qui orbitent autour d’autres étoiles, les fameuses planètes extrasolaires, et donc de détecter d’autres objets beaucoup plus lointains” explique Nicolas André.

L’étude du plasma du système de Jupiter intéresse également les scientifiques. Les particules chargées qui le composent, leur mouvement, leurs propriétés sont gouvernées par des champs magnétiques et électriques dans l’univers. La puissance des champs magnétiques de Jupiter et de Ganymède crée des processus très violents et influence le mouvement des particules. “Les propriétés chimiques de la surface des lunes de Jupiter peuvent être modifiées par endroit avec ce bombardement, cela va nous permettre de comprendre si ces lunes ont pu présenter des environnements favorables à l'émergence de la vie telle qu’on la connaît sur Terre”.

Certains instruments, comme le radar, vont permettre de valider la présence d'eau liquide sous la croûte glacée des trois lunes et de caractériser les propriétés de ces océans, leur profondeur et leur épaisseur.

JUICE's science instruments © ESA

  Les instruments scientifiques de © ESA (acknowledgement: work performed by ATG under contract to ESA)

 

Existe-t'il d’autres formes de vie dans l’Univers?

C’est une question à laquelle l’Homme cherche des réponses depuis longtemps, c’est pour cela que les scientifiques s'intéressent aux environnements dans le système solaire qui possèdent de l’eau et si possible liquide car c’est la condition essentielle à l’apparition de la vie telle qu’on la connaît. 

Mais l’eau à elle seule ne suffit pas, il faut d’autres ingrédients pour que la magie opère. Il faut notamment ce que les scientifiques appellent les “CHNOPS” c’est-à-dire les six éléments chimiques principaux qui constituent les êtres vivants: le carbone, l'hydrogène, le nitrogène, l'oxygène, le phosphore et le sulfure. La caméra infrarouge MAJIS va permettre d’en mesurer la présence en étudiant précisément la composition de la matière à la surface des lunes. “Cette caméra, rappelle Benjamin, complète un ensemble d’instruments optiques qui vont observer et analyser les lunes joviennes dans toutes les longueurs d’onde”.

 

Benjamin Massart at Kourou, French Guiana  © Airbus

 Benjamin Massart at Kourou, French Guiana  © Airbus

 

Le troisième ingrédient nécessaire à l’apparition de la vie est la source d'énergie. A proximité de Jupiter, cette énergie est gravitationnelle. Ce sont des effets de marée comme ceux que l’on connaît dans le système Terre-Lune qui déforment les lunes dans leur course autour de Jupiter.Ces déformations génèrent des frottements qui échauffent leur intérieur et permettent à l’eau liquide d’y exister.

Le dernier ingrédient, c’est la stabilité de l'environnement. “C’est là que le bombardement de particules chargées peut être gênant” explique Nicolas André, “mais le champ magnétique de Ganymède, seule lune du système solaire à avoir son propre champ magnétique, permet de la préserver par endroit”. 

Cependant rien n’est impensable, il existe des conditions tout aussi défavorables sur Terre. Le lac Vostok, enfoui sous près de 4 kilomètres de glace sous l’Antarctique, sans lumière, isolé de la surface, a révélé l’existence d’organismes totalement inconnus qui constituaient une forme de vie il y a des millions d'années.

 

Une photo de famille pour les scientifiques

Une fois arrivé dans le système jovien en 2031, la sonde JUICE va commencer à émettre en continu des données vers la Terre qui seront stockées à l’ESA. Les scientifiques pourront les récupérer et mettre en place les chaînes de traitement nécessaires afin de les rendre utilisables par l’ensemble de la communauté scientifique.

La mise à disposition de ces données est primordiale. Comme le rappelle Nicolas André “plus on a de chercheurs impliqués, plus on a des résultats et de discussions qui favorisent l’émergence de nouvelles idées qui vont stimuler de nombreuses générations de chercheurs.”

“A la fin de la mission, on aura une bonne connaissance des conditions permettant à la vie d'émerger dans le système solaire, une vue macroscopique, une sorte de photo de famille. Mais pour une observation plus microscopique de Jupiter et des lunes galiléennes, il nous faudrait aller à la surface d’une des lunes et forer la matière pour l’analyser.” 

Cette mission constitue une réelle opportunité pour Airbus de repousser les frontières technologiques  nécessaires à l’exploration spatiale. Comme l’explique Benjamin Massart, “une mission de cette complexité implique un développement technologique  qui bénéficiera à de futures missions dans les domaines de l’intelligence embarquée et de l’autonomie, de la sobriété énergétique et de la résistance aux conditions environnementales difficiles comme celles de températures extrêmes et d’intenses niveaux de radiations.”

Ces observations vont continuer à monopoliser les astrophysiciens durant les quinze prochaines années et permettront peut-être de lancer une autre mission scientifique en direction de Jupiter et de ses lunes.

JUICE

 

 


 

Le rôle des scientifiques de l’IRAP

L’implication de l’IRAP dans cette mission est particulière car l'Institut a participé à la définition scientifique de la mission spatiale et également à la conception technique d’un des dix instruments. 

En effet, L’IRAP a développé deux senseurs de la suite instrumentale Particle Environment Package (PEP) dont l’objectif est de mesurer le gaz neutre, les particules énergétiques et le plasma du système jovien (Jupiter et ses lunes glacées). Le premier senseur, une caméra, va imager à distance et pour la première fois, le système de Jupiter dans ses régions les plus internes ainsi que la matière qui est éjectée de cet environnement notamment par la lune volcanique Io. Le deuxième senseur, le spectromètre de masse ionique, va mesurer les propriétés fines et la composition du plasma, ce quatrième état de la matière constitué de particules chargées - des ions et électrons - qui représente 99% de la matière connue de l'univers. 

“La contribution technique aux instruments est importante pour un centre de recherche car elle nous permet d’intervenir au cœur des instruments donc au plus près des données finales. On a une meilleure connaissance du fonctionnement des instruments et de la qualité des données”, explique Nicolas André. De plus, les équipes d’instrumentistes bénéficieront d’une période d’environ 6 mois pendant laquelle ils auront un accès exclusif aux données. 

 

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